Taxation des gains de valeurs mobilières

Taxation des gains de valeurs mobilières

article de Maître Laurence HAROU-COSTE dans la revue LEXBASE HEBDO

 lexbase laurence-harou-costeL’administration fiscale a publié, le 20 mars 2015, les commentaires définitifs sur les gains de cession de titres. Cette publication est intervenue après la mise en ligne, le 14 octobre 2014, de commentaires provisoires qui étaient soumis à une consultation publique se terminant le 14 octobre 2014 (BOI-RPPM- PVBMI N° Lexbase : X5612ALG). Quel en est le contexte ? Les dispositions de l’article 10 de la loi n˚ 2012- 1509 du 29 décembre 2012, de finances pour 2013 (N° Lexbase : L7971IUR), et de l’article 17 de la loi n˚ 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014 (N° Lexbase : L7405IYW), ont réformé de façon substantielle le régime des plus-values des particuliers en substituant au régime de taxation forfaitaire le barème progressif de l’impôt sur le revenu après application d’un abattement pour durée de détention (CGI, art. 150-0 A N° Lexbase : L4977I7H et s.). Dès lors, qu’en est-il du régime d’imposition des gains de cession de valeurs mobilières avec l’apport de ces précisions doctrinales ?Pour en savoir plus sur cette question, Lexbase Hebdo — édition fiscale a interrogé Maître Laurence Harou-Coste, Avocat fiscaliste au sein du cabinet Artem Avocats. Lexbase : Qu’apportent concrètement les commentaires de l’administration fiscale du 20 mars 2015 concernant le régime d’imposition des gains nets de cession de titres réalisés par des particuliers ?Laurence Harou-Coste : Deux dispositifs d’abattement cœxistent, l’un de droit commun au taux de 50 % après deux ans de détention et de 65 % après huit ans, et l’autre renforcé au taux de 50 % après un an de détention, 65 % après quatre ans et 85 % après huit ans. Par ailleurs, les dirigeants prenant leur retraite peuvent également bénéficier d’un abattement fixe de 500 000 euros. En revanche, les prélèvements sociaux sont calculés sur le montant de la plus-value brute. Pour répondre à votre question, l’ampleur des commentaires conduit à cibler certaines mesures qui font l’objet d’une attention particulière pour les praticiens.  

Elargissement du champ d’application

–  Intégration des rachats de titres de sociétés

La décision du Conseil constitutionnel du 20 juin 2014 (Cons. const., 20 juin 2014, décision n˚ 2014-404 QPC N° Lexbase : A6294MRK) a conduit le législateur à modifier dans son ensemble le régime fiscal des rachats de titres et l’administration publie ses premiers commentaires. A compter de 2015, les gains retirés par un contribuable lors du rachat de ses titres par une société passible de l’impôt sur les sociétés sont imposables au régime des plus-values avec application, le cas échéant, des abattements pour durée de détention. Qu’est-ce qu’un rachat de titres ? Le texte vise uniquement les cas dans lesquels la société devient propriétaire des titres ; il ne concerne ni les opérations de réduction de capital réalisées sans rachat, ni les opérations de liquidation sans rachat. Concernant 2014, ou la période antérieure, les contribuables peuvent opter pour le régime fiscal le plus favorable, soit le régime « hybride » (revenus distribués et plus-values), soit le seul régime des gains de cession. Concrètement, le régime des plus-values conduit à appliquer les abattements pour durée de détention au lieu de l’abattement de 40 % pour les revenus distribués, et permet le cas échéant d’imputer des moins-values reportables sur la plus-value de l’exercice.  

Détermination des plus-values

–  Sur l’acquisition des titres

En cas de contrôle, le contribuable doit produire les pièces justificatives du prix ou de la valeur d’acquisition des titres cédés. A défaut, l’administration considère que les titres ont été acquis pour une valeur nulle. Par ailleurs, le prix d’acquisition des titres doit parfois être corrigé : si le contribuable a bénéficié d’une réduction d’impôt « Madelin » lors de la souscription en numéraire au capital de PME, le prix d’acquisition est diminué de la réduction d’impôt, sauf en cas de reprise de la réduction ou de plafonnement des avantages fiscaux.

–  Sur la clause d’earn out (clause de complément de prix)

La clause d’earn out s’entend d’une convention entre le cédant et l’acquéreur par laquelle ce dernier s’engage à verser un complément de prix à une date ultérieure dont le montant est fixé en relation directe avec l’activité de la société. L’administration confirme que le complément de prix relève du régime des plus-values et que son versement constitue un fait générateur d’imposition. L’abattement pour durée de détention est le même que celui applicable à la cession, quelle que soit la date de versement du complément. Ce complément pourra également bénéficier de l’abattement de 500 000 euros si la plus-value initiale était éligible à cet abattement. Une question reste en suspens lorsque la cession est intervenue avant le 1er janvier 2013, sous le régime de la taxation forfaitaire. Si le fait générateur est le versement de l’earn out, la logique devrait conduire l’administration à appliquer les abattements au complément de prix. Toute autre position serait contradictoire avec la notion de fait générateur de l’impôt.

Abattements : dispositions générales

–  Sur la justification du délai de détention

Si le cédant n’est pas en mesure de justifier de la date effective d’acquisition ou de souscription des titres cédés, l’administration admet que la date de détention la plus ancienne dont on peut justifier peut servir de point de départ du décompte de l’abattement.  

–  En matière de moins-values

Concernant les moins-values de l’exercice, l’administration rappelle que l’application des abattements vise les gains nets de cessions, et confirme que le montant de la plus-value de cession, ainsi que celui de la moins-value, sont réduits de l’abattement pour durée de détention. Cette réduction de la moins-value fait l’objet de vives critiques car la notion de gain net devrait s’entendre après imputation des pertes réalisées au cours de l’année et des pertes antérieures. En conséquence, dès lors que les moins-values subies au cours d’une année sont imputables exclusivement sur les gains de même nature réalisés au cours de la même année ou des dix années suivantes, seule la moins-value déterminée après abattement est imputable. Cette mesure incitera les particuliers à céder rapidement les titres porteurs de moins-values et obérera les capacités de reprise des sociétés. En effet, plus la durée de détention s’allonge et plus les capacités de rattrapage des pertes seront difficiles. Concernant les moins-values reportables au titre des années antérieures, le mécanisme des abattements est également préjudiciable au regard des prélèvements sociaux. La mention distincte sur la déclaration de l’abattement conduit à l’assujettissement automatique de l’abattement aux prélèvements sociaux, même si la plus-value taxable après abattement a été imputée sur des moins-values reportables. Par exemple, une plus-value de 4 000 euros est assortie d’un abattement de 50 %. L’abattement de 2 000 euros est soumis aux prélèvements sociaux de 15,5 %, quand bien même la plus-value taxable est imputée sur les moins- values antérieures.  

–  Exclusion des plus-values placées en report d’imposition

Historiquement, des plus-values ont pu bénéficier d’un régime de report d’imposition en cas d’opérations de cession, d’échange ou d’apport réalisées avant le 1er janvier 2013, dans le cadre de divers dispositifs. Par principe, les plus-values en report sont déterminées selon les règles applicables lors de l’opération mais l’im- position est différée au moment où interviendra un évènement mettant fin au report. L’administration adopte une position stricte en excluant ces plus-values du bénéfice des abattements. On mesure l’impact du surcoût fiscal entre le barème de l’impôt sur le revenu sans abattement à 45 % et la taxation forfaitaire de 19 %. Dès lors que le fait générateur de l’imposition est la cession des titres, cette exclusion crée une rupture d’égalité devant l’impôt contraire aux principes constitutionnels.  

Dispositions spécifiques en matière d’abattements renforcés ou fixes et renforcés

–  En cas de départ à la retraite de dirigeants de PME

Les dirigeants prenant leur retraite peuvent bénéficier pour leurs gains nets de cession, sous certaines conditions, d’un abattement fixe de 500 000 euros et pour le surplus de l’abattement renforcé. L’administration confirme une approche plus restrictive du nouveau dispositif. Désormais, seul le cédant qui remplit les conditions de l’article 150-0 D ter du CGI (N° Lexbase : L9704I3S) est concerné par l’application des abattements. L’administration abandonne l’avantage octroyé par la doctrine antérieure au profit des cofondateurs ou aux membres du groupe familial du dirigeant cédant leurs titres en même temps. Par ailleurs, il résulte des commentaires que chacun des époux ou partenaires liés par un PACS bénéficie des abattements (fixe de 500 000 euros et renforcés) au titre des gains nets réalisés dès lors qu’il remplit les conditions prévues par l’article. Autrement dit, l’administration revient sur la tolérance consistant à attribuer la qualité de cédant indifféremment à chacun des deux conjoints. Si l’administration va au bout de sa logique, il pourrait y avoir deux abattements fixes au sein d’un couple si chacun remplit les conditions. Enfin, dans l’hypothèse d’un rachat de titres par la société émettrice, l’abattement renforcé s’applique aux gains nets retirés dans des conditions identiques à une cession effectuée au profit d’un tiers, à condition de vendre la totalité des titres et que le cédant ne soit plus associé de la société bénéficiaire du rachat.  

– Cession de titres de holding animatrice

En cas de cession de titres d’une holding animatrice susceptible de bénéficier des abattements renforcés applicables aux gains nets de cessions de titres de PME de moins de dix ans, l’administration exige que la holding et chacune de ses filiales ne soient pas issues d’une opération de concentration, d’une restructuration, d’une extension ou d’une reprise d’activités existantes. Lexbase : Le ministère de l’Economie et des Finances, ainsi qu’un rapport du Sénat, ont indiqué que la taxation trop importante des plus-values avait un effet négatif sur les recettes fiscales de l’Etat. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Laurence Harou-Coste : Ce phénomène s’explique par le fait qu’une taxation trop importante des gains conduit à une position d’immobilisme et risque de geler les cessions de titres. Le résultat est inverse de celui recherché car il en ressort non une augmentation des recettes fiscales de l’Etat mais un tarissement de l’assiette taxable. Le nouveau dispositif a substitué à une taxation forfaitaire au taux de 19 %, plus contributions sociales de 15,5 %, soit un taux global de 34,5 %, le barème progressif de l’impôt, de sorte qu’en l’absence d’abattement, l’imposition peut être établie en tranche marginale à 45 %, soit un taux global maximal de 60,5 %. Le surcoût fiscal est patent dans certaines situations. La réforme visait à favoriser la conservation des titres. Les taux de taxation conduisent à attendre soit le moment où des conditions d’abattements plus favorables seront réunies, soit une alternance politique (potentielle tous les cinq ans) et la perspective d’une modification législative. Cet effet négatif a été constaté avec le dispositif fiscal sur les terrains à bâtir dont la lourdeur a entrainé une paralysie totale du marché et a conduit finalement à une modification du régime.  Lexbase : En pratique, que conseillez-vous à vos clients ayant l’intention de céder leurs valeurs mobilières à l’heure actuelle ? Laurence Harou-Coste : En pratique, l’approche sera différente selon le profil du client et la nature des titres dont la cession est envisagée : titres figurant dans un portefeuille boursier, titres d’un dirigeant d’entreprise ou d’un actionnaire de PME… Préalablement à toute cession, il convient de faire une analyse des reports d’imposition afin de mesurer les conséquences fiscales liés à la fin du report. Ensuite, il est des opportunités de cession qu’il convient de saisir et pour lesquelles le coût fiscal intervient de façon secondaire. Au-delà de ces situations, les arbitrages consistent à privilégier les conditions d’application les plus favorables en matière d’abattements renforcés et/ou fixes, et de bénéficier de façon optimale des abattements de droit commun. Par ailleurs, selon les projets du cédant, un apport des titres à une holding peut être une alternative à envisager. Enfin, si les titres sont porteurs de moins-values, une cession rapide peut limiter l’impact des abattements. Et si le contribuable détient des moins-values antérieures en report d’imposition, il peut être intéressant de céder des titres acquis récemment qui ne bénéficieront pas des abattements afin d’éviter la taxation des abattements aux prélèvements sociaux.  Lexbase : Selon vous, quelles seraient les mesures les plus urgentes à adopter en matière de taxation des plus-values sur cession de valeurs mobilières ?Laurence Harou-Coste : Tout d’abord, un axe de réforme pourrait consister à aligner les abattements prévus en matière d’impôt sur le revenu aux contributions sociales afin de favoriser la transmission d’entreprise. Ensuite, l’exclusion du régime des abattements pour durée de détention aux plus-values en report d’imposition devrait être supprimée afin de lever ce frein à la cession. Enfin, le régime des gains de cession pourrait être simplifié.  Taxation des gains de cession de valeurs mobilières — Questions à Maître Laurence Harou-Coste, Avocat fiscaliste au sein du cabinet Artem AvocatsN° Lexbase : N7342BUH par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition fiscale